dimanche, décembre 30, 2007

L'organisation des kujiragumi - 2

Je vais poursuivre la description de l'organisation du travail des kujiragumi que j'avais commencée en avril dernier.

Une fois que la baleine a été remorquée vers la station de dépeçage appelée nayaba 納屋場, elle est hissée sur la côte à l'aide de cordes et de treuils dits rokuro 轆轤 opérés par une vingtaine d'hommes. Ces treuils servent également à détacher les morceaux de lard et de viande que les écorcheurs spécialisés (uokiri 魚切り) découpent à l'aide de tranchoirs à manche long (image 1). Ces blocs sont ensuite réduits en morceaux plus petits et transportés vers des ateliers appelés naya 納屋.

Il existe plusieurs types de naya, chacun ayant des fonctions différentes. Ainsi le ônaya 大納屋 sert pour le traitement de la viande et du lard, le konaya 小納屋 pour celui des petits morceaux comme les nageoires ou la chair attachée aux os (image 2), ou encore le honenaya 骨納屋 où sont réduits et fondus les os pour extraire l'huile. Un aspect important du dépeçage et de la transformation des produits est l'utilisation optimale des ressources extraites des carcasses des baleines.
Ainsi, la viande est salée pour permettre sa conservation dans le but de l'alimentation ; le blanc de baleine est fondu dans des fondoirs (kama 釜) afin d'en extraire l'huile ; les organes sont soit destinés à la consommation, soit transformés en huile ; les os sont eux aussi réduits et transformés en huile ; les tendons et les fanons sont nettoyés et serviront pour diverses formes d’artisanat. Une partie de ces tâches, notamment celles les plus simples sont confiées à des journaliers appartenant généralement au village où a lieu le dépeçage.

Tous ces produits sont ensuite vendus à des marchands (ton.ya 問屋) qui se chargent de les transporter et de les vendre dans les grands centres économiques de l'époque d'Edo. Une partie de la chair ou du lard était toutefois distribuée aux membres du kujiragumi, les morceaux et les quantités dépendant de leur statut. Des offices religieux (kuyô 供養) était également organisés pour le repos des âmes des baleines capturées. De même, il était de coutume que les harponneurs (hazashi) se réunissent dans la demeure du dirigeant, le kuminushi 組み主, à diverses occasions pour danser et chanter (image 3). Ces chants et danses apparaissent encore de nos jours lors de fêtes comme celles d'Arikawa et de Muroto.

A la fin de la saison de chasse, aux alentours du mois de mai, les dirigeants font leurs comptes et le groupe se sépare. Notons que certains kujiragumi, notamment dans la région du Saikai (nord-ouest de Kyûshû), changeaient de lieu de chasse au cours de la saison. Cela impliquait le déplacement du nayaba qu'il fallait démonter puis remonter.
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samedi, novembre 17, 2007

Petit point sur l'actualité baleinière

Alors que malgré un soit disant report, la campagne de chasse scientifique japonaise en Antarctique ne devrait pas tarder à débuter avec le prochain départ de la flotte du Nisshin-maru depuis le port de Shimonoseki, il est intéressant de se pencher sur ce qui a été dit ou écrit ces derniers jours à ce sujet aux quatre coins du monde.

Commencons par le Japon où le programme de recherche relatif aux rorquals de Minke (Balaenoptera acutorostrata) au large du port de Kushiro (département de Hokkaidô) s'est terminé à la fin du mois dernier. Ce programme prévoit la capture annuelle de 60 animaux dans un rayon de 50 miles nautiques autour de Kushiro, notamment pour étudier le régime alimentaire du petit rorqual et sa place dans l'écosysteme nord pacifique.
Selon le quotidien Mainichi, les quatre baleiniers n'ont réussi qu'à capturer 50 rorquals du fait de mauvaises conditions climatiques qui ont obligé les navires à rester au port pendant un tiers de la période de recherche (qui allait du 10 septembre au 31 octobre).
Toutefois, les premiers résultats de ce programme aurait mis en avant le fait que les préférences alimentaires des rorquals de Minke évoluent en fonction de leur âge. Ainsi, les jeunes rorquals n'ayant pas atteint l'âge adulte (moins de 6 mètres) se nourriraient principalement de colin d'Alaska (Theragra chalcogramma), alors que les animaux adultes se nourriraient surtout d'anchois japonais (Engraulis japonica). A ce sujet, le professeur Katô Hidehiro de l'Université de Science et de Technologie marine de Tôkyô, qui dirige ces recherches a émis l'hypothèse selon laquelle les rorquals de Minke pourraient migrer selon des routes différentes en fonction de l'évolution de leurs préferences alimentaires au cours de leur vie.
Les résultats de ce programme seront examinés à l'automne prochain lors d'une réunion de revue de la CBI que le Japon souhaite organiser sur son sol.

Toujours au Japon, de la viande de baleine frite (tatsuta-age) a été servie lors de repas scolaires le 8 novembre dernier dans la ville de Nagato (département de Yamaguchi). Cette région où la chasse à la baleine a connu son essor durant la période d'Edo, conserve encore de nos jours de nombreux patrimoines culturels tels que des stèles funéraires dédiées aux cétacés et des chants baleiniers hérités de cette pratique.
De même, la consommation de viande de baleine y était très répandue jusqu'à ce que le moratoire sur la chasse à la baleine entre en vigueur en 1987. De crainte que cette coutume alimentaire ne disparaisse, l'Association pour la transmission de la culture culinaire baleinière de Nagato - Ôtsu a été créée en 2002 à l'occasion de la tenue de la réunion plénière de la CBI à Shimonoseki, dans le même département.
Le Mainichi explique que les collectivites locales telles que Nagato peuvent acheter de la viande de baleine à l'Institut japonais de recherche sur les cétacés (ICR) pour un tiers du prix habituel. Selon le même institut, la quanité de viande utilisée pour les repas scolaires aurait été de 160 tonnes l'année dernière, marquant une progression annuelle de 20 pourcents.
La viande de baleine a la qualité d'offrir une importante source de proteines animales pour une faible teneur en graisses et cholestérol comparée aux autres viandes (bœuf, porc, poulet).

En Australie, à quelques jours des élections législatives qui doivent se tenir le 24 novembre prochain, la question de la chasse à la baleine est devenue l'un des enjeux de la bataille électorale entre le parti conservateur au pouvoir et les travaillistes. Ceci s'explique par le fait que ce pays est un ardent opposant de la chasse baleinière et que l'industrie du tourisme baleinier (whale-watching) est y est très lucrative.
Le leader du parti travailliste, Kevin Rudd aurait déclaré son intention d'envoyer un navire de la marine pour surveiller, voire stopper les opérations de la flotte baleinière japonaise en Antarctique. Bien que les conservateurs soient également farouchement opposés à la chasse à la baleine, ils sont contre la proposition de M. Rudd.
Outre le fait que le Japon est un important partenaire économique de l'Australie, l'envoi de navires de l'armée dans la zone du Traité pour l'Antarctique serait une infraction à ce même traité. L'Australie violerait donc ainsi le droit international alors que les opérations de chasse scientifique japonaises sont tout à fait en accord avec la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine.
Par ailleurs, le Traite pour l'Antarctique gèle les revendications territoriales, ce qui fait que le Japon ne reconnaît pas celles de l'Australie sur une partie du continent antarctique. Le sanctuaire baleinier que les Australiens ont mis en place dans leurs zone d'exclusivité économique en 1999 n'est donc pas valable dans cette partie du monde.

Le groupe de presse australien ABC a récemment publié un article dans lequel il est dit que les chercheurs de ce pays ont développé ou seraient sur le point de mettre au point une technique permettant de déterminer l'âge des baleines à l'aide de bouts de peau qu'elles laissent en faisant des bonds (breaching) hors de l'eau. L'article est en fait assez vague et laisse plutôt comprendre que cette technique ne permet pour l'instant que de savoir si l'on a affaire à un jeune ou à un adulte. Le Professeur Peter Harrison de l'Université de Southern Cross déclare qu' "il est préférable de savoir approximativement l'âge d'une baleine vivante plutôt que l'âge exact d'une baleine morte". A cela, le directeur général de l'ICR (Institut japonais de recherche sur les cétacés), Morimoto Minoru répond qu' "il est de la plus grande importance d'obtenir les meilleures données scientifiques possibles pour assurer un régime de gestion robuste et durable de la chasse baleinière commerciale".
En fait, les deux parties s'opposent sur la finalité des recherches conduites. D'un côté, l'Australie s'oppose à la chasse baleinière et donc à la collecte de données par le biais de méthodes dites létales. De l'autre, le Japon cherche à obtenir des informations précises à l'aide de techniques létales et non-létales afin de permettre la reprise d'une chasse à la baleine commerciale de manière réglementée et durable.

Dans le même article, Mick McIntyre de l'IFAW (Fond international pour les animaux) déclare que "les baleiniers vont se concentrer sur les plus grosses baleines, qui dans le cas des baleines à bosse sont les femelles en âge de se reproduire". Ceci est on ne peut plus faux. Les animaux capturés dans le cadre des programmes de recherche scientifique japonais sont déterminés de manière aléatoire de façon à obtenir les données les plus fiables statistiquement. C'est pour cela que des rorquals de Minke de moins de 6 mètres (n'ayant pas atteint l'âge adulte) ont été capturés dans le cadre des recherches menées au large de Kushiro (voir plus haut)
Ce responsable de l'IFAW fait donc sciemment de la désinformation pour provoquer une réaction de dégoût chez les gens.

L'opposition devrait devenir de plus en plus forte dans les semaines qui viennent. L'ONG Greenpeace a d'ores et déjà déclaré qu'elle traquerait la flotte japonaise depuis les côtes nipponnes avec l'un de ses navires, l'Esperanza.
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samedi, septembre 01, 2007

Chasse à la baleine et tourisme baleinier

Comme je l'ai déjà évoqué précédemment, il existe de nombreux exemples démontrant que chasse à la baleine et tourisme baleinier (whale-watching) peuvent tout à fait cohabiter, voire même coopérer. Un article intéréssant sur ce sujet avait d'ailleurs été rédigé par Segi Shio pour le bulletin de la CPS (Secrétariat général de la Communauté du Pacifique) en 2003. Toutefois, les opposants à la chasse à la baleine clament sans cesse que le tourisme baleinier est la seule manière d' "exploiter" les ressources baleinières de façon durable.

Le 24 août dernier, plusieurs bateaux d'éco-tourisme sont tombés par hasard sur un baleinier en opération au large du port de Rausu, situé sur la péninsule du Shiretoko (Hokkaido, nord du Japon), site inscrit au patrimoine mondial naturel de l'UNESCO en 2005. L'événement qui a marqué la conscience des touristes, a été repris par les médias japonais et étrangers (notamment de façon très partiale et erronée ici). Il n'en a guère fallu plus aux anti-chasse tels que Greenpeace Japan pour relancer la polémique sur la coexistence de la chasse à la baleine et du whale-watching.

Cependant, il faut prendre en considération plusieurs choses avant de se laisser entraîner par la rhétorique anti-baleinière. Tout d'abord, la chasse à la baleine est pratiquée dans cette région depuis plusieurs dizaines d'années, soit bien avant le développement de l'éco-tourisme qu'a amené le nouveau statut du Shiretoko en 2005. Le tourisme doit pouvoir se développer sans gêner les activités des pêcheurs de cette région. D'autant plus que la capture de la baleine à bec de Baird a eu lieu en dehors de la zone désignée comme patrimoine mondial naturel.

Ensuite, il semble que ce sont les bateaux d'éco-tourisme qui se sont approchés volontairement du baleinier et de sa proie. Le malaise des passagers est donc plutôt du fait des organisateurs du whale-watching. En outre, la chasse à la baleine est une activité dangereuse et s'approcher du cétacé ou du navire lors de la capture peut être la cause d'un accident. En fait, on est en droit de se demander si le capitaine du bateau de tourisme n'a pas agi délibérément par voyeurisme. C'est un peu comme si un guide touristique emmenait des touristes dans un abattoir parce que la porte était entrouverte.

Finalement, il semble que la mairie de Rausu a joué le rôle d'intermédiaire entre les baleiniers et les organisateurs d'éco-tourisme pour trouver une solution afin que ce genre d'incident ne se reproduise plus et que les deux activités puissent coexister dans cette zone. Cela prouvera une fois de plus que les déclarations des opposants à la chasse à la baleine sur ce sujet sont fausses.

Mise à jour (4 septembre 2007) :
Michel Temman a écrit un article dans Libération sur l'incident. Une fois de plus, il démontre son manque de professionalisme et de sérieux avec des erreurs comme celle-ci : "une baleine à bec de Baird (le plus gros rorqual à bec, de la famille des dauphins: 12 mètres et 10 tonnes en moyenne)". La baleine à bec de Baird n'est pas un rorqual (les rorquals sont des cétacés à fanons!) et n'appartient pas à la famille des dauphins. C'est un odontocète (cétacé à dents) appartenant à la famille des ziphiidés (baleines à bec). En outre, la chasse de cette espèce, qui jusqu'à preuve du contraire, n'est pas en voie de disparition, n'est pas sous la juridiction de la Commission baleinière internationale. Tout ceci pouvait être vérifié facilement sur internet.
L'article en lui-même n'apporte pas grand éclairage, mis à part les vidéos prises par le couple français qui se trouvait à bord du bateau d'éco-tourisme lors de l'incident.
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samedi, août 18, 2007

Rituel des baleinières à Tomida

Je suis allé dans le district de Tomida (ville de Yokkaichi, département de Mie) les 14 et 15 août derniers pour assister à une fête lors de laquelle est présenté un rituel appelé kujirabune gyôji 鯨船行事 (rituel des baleinières). Le matin du premier jour, avait lieu le rituel dit du chinka-sai 鎮火祭 qui consiste à brûler de la paille et de l'encens dans l'enceinte du sanctuaire Toride-jinja 鳥出神社 qui doit permettre de se protéger contre les incendies.

Lorsque ce rituel se termine, les gens des différents quartiers de Tomida se rendent aux depôts où sont rangés des chars en forme de baleinières. Ces derniers sont richement ornés de décorations dorées et les flancs sont peints en rouge et noir et laqués. Il existe quatre de ces chars à Tomida, mais seuls deux d'entre eux participaient à la fête cette année : le Gongen-maru 権現丸 du quartier de Furukawa et le Shintoku-maru 神徳丸 du quartier de Nakajima. De jeunes garçons et filles prennent place à l'avant du char, alors qu'un ou deux jeunes hommes s'installent à l'arrière, sous un toît pour battre du tambour. Un des petits garçons se dresse à la proue pour jouer le rôle du harponneur appelé odoriko 踊り子. Le char est tiré par plusieurs hommes du quartier vêtus de vestes dites happi 法被.

Outre le char, il y a une baleine d'environ trois mètres de long, faite d'une structure de bambou recouverte d'un fin filet. Les fanons de la baleine sont représentés par deux branches de cycas. Cette baleine est transportée par une demi-douzaine de jeunes hommes appelés kujira-kaburi 鯨被り. Ces derniers portent des couvre-épaules noirs et des tabliers blancs où figurent le mot kujira 鯨 (baleine) et le nom de leur quartier. Il y a également une baleine un peu plus petite, maniée par des enfants.

Le 14 août, les chars et les baleines effectuent une parade dans leurs quartiers respectifs, le chô-neri 町練. Lors de cette parade, les chars et les baleines reproduisent plusieurs fois une scène de chasse baleinière. Ce rituel commence par le repérage de la baleine par le char. Le jeune garcon à la proue du char effectue une sorte de danse lors de laquelle il agite ses bras et se contorsionne en arrière de manière répétitive. La chasse commence alors et le char poursuit la baleine jusqu'à ce que cette dernière contre-attaque. Les jeunes gens maniant la baleine effectuent alors une charge vers le bateau tout en poussant des cris, "ya-ya!".

Lorsque la baleine s'écarte du char, celui-ci commence à tanguer. Puis, le rythme du tambour s'accélérant, la chasse reprend. L'odoriko a desormais un harpon à la main et sa gestuelle devient frénétique au fur et à mesure que le char se rapproche de la baleine. Arrive finalement le moment du harponnage : la baleine se dresse près de la proue du bateau et le jeune garcon la frappe de son arme. Pour marquer la réussite de la chasse, les petits garcons et petites filles à bord du char se lèvent et effectuent une petite danse éventail à la main, alors que les gens autour du bateau entonnent un chant. Ce rituel est répété plusieurs fois jusque dans la soirée devant les maisons des habitants du quartier.

Le jour suivant a lieu le miya-neri 宮練, lors duquel le même rituel que la veille est effectué dans l'enceinte du sanctuaire Toride-jinja. Cette fois-ci, la poursuite est plus longue, la baleine s'échappant plusieurs fois avant d'être finalement harponnée. A noter que ce rituel serait apparu il y a un peu plus de 200 ans à Tomida. Il a d'ailleurs été reconnus patrimoine culturel intangible national en 1997 par l'Agence japonaise pour les affaires culturelles. Outre les quatre chars de Tomida, il existe d'autres rituels du meme genre dans le nord de la région d'Ise (la plupart se trouvant dans la ville de Yokkaichi).



Il faut toutefois souligner que la chasse à la baleine ne semble pas avoir été pratiquée dans cette région à la période d'Edo. En fait, les chars utilisés lors de ce rituel ressemblent beaucoup à ceux dits sekibune 関船 ou gozabune 御座船 hérités des daimyôs de la période d'Edo. On trouve d'ailleurs des fêtes de ce genre dans le département de Mie, telle que la sekibune-matsuri 関船祭り de Miyama.
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mercredi, juin 06, 2007

"L'amour des baleines" de Greenpeace - 11

Bien que la série "Whale-Love Wagon" de Greenpeace se soit achevée il y a environ deux mois, cette ONG a fait appel à un animateur japonais pour créer un dessin animé contre la chasse à la baleine au Japon. Ce court-métrage d'animation s'intitule "Man & Whale" ("kôchô-sensei to kujira 校長先生とクジラ" en japonais). Il nous raconte l'histoire d'un directeur d'école qui est hanté par la dette qu'il a envers les baleines qui ont fournis des protéines animales au Japonais lors de la période de disette, au sortir de la guerre. Lorsqu'il voit une baleine échouée sur la plage située non loin de son école, il accourt pour sauver l'animal. Le message de Greenpeace est simple : les baleines nous (Japonais) ont aidé autrefois, à notre tour de les aider. (La traduction en anglais (les sous-titres) est au passage plus qu'approximative)

Je doute que les gens de Greenpeace Japan soit ignorants à ce point, mais ce film ferme tout simplement les yeux sur le fait que les Japonais ont organisé et continuent encore aujourd'hui d'organiser des rituels funéraires en l'honneur des baleines capturées. Celui organisé tous les ans à Nagato (département de Yamaguchi) est l'un des plus connus au Japon. De même, comme je l'ai déjà évoqué, on trouve également des monuments érigés à la mémoire des cétacés en divers lieux du Japon tels qu'à Katsuyama. Ces pratiques expriment la gratitude des habitants des régions baleinières japonaises envers les baleines pour les ressources qu'elles leur ont apportées.

Toutefois, si on prolonge le raisonnement du dessin animé de Greenpeace, il faudrait arrêter de pêcher de nombreuses espèces de poissons car ils nous ont rendu un sacré service depuis des centaines, voire des milliers d'années. En bref, on a là un bel exemple de la réthorique de Greenpeace qui consiste à désinformer les gens, si ce n'est pas à leur laver la cervelle.
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samedi, juin 02, 2007

59e réunion plénière de la Commission baleinière internationale

La 59e réunion plénière de la Commission baleinière internationale (CBI) s'est achevée le 31 mai dernier à Anchorage en Alaska. Contrairement à l'année précédente, les pays supportant une reprise de la chasse à la baleine n'ont pas réussi à obtenir un vote en leur faveur, malgré des efforts pour trouver des compromis. Cette situation a amené la délégation du Japon à declarer qu'elle n'excluait pas de quitter cette organisation et d'en créer une autre lors du dernier jour des débats.

Lors du premier jour, le comité scientifique de la CBI a présenté son rapport. Si aucune estimation du nombre de rorqual de Minke antarctique (balaenoptera bonaerensis) n'a pu être présentée encore cette année, le comité s'est accordé sur l'augmentation du nombre de baleines bleues et de baleines à bosse dans l'hémisphère sud. Cela montre que les mesures de protection dont ces animaux font l'objet depuis plus de 40 ans (soit bien avant la mise en place du moratoire) portent leurs fruits. A noter que les programmes de recherche japonais en Antarctique, JARPA et JARPA2 ont contribué aux travaux du comité scientifique en apportant d'importantes données. Le comité a toutefois souligné que les populations de baleines franches de l'Atlantique nord (environ 300 individus) et de baleines grises du Pacifique nord-ouest (quelques 120 cétacés) continuaient d'être très menacées, notamment du fait des activités humaines dans leurs habitats (collisions avec des navires, filets de pêche, etc.).

L'ordre du jour de la seconde journée de la réunion comportait principalement les discussions concernant le renouvellement des quotas de chasse aborigène de subsistence. Ces derniers sont généralement établis pour des périodes de 5 ans. Bien que les quotas des Inuits d'Alaska, des Chukotka (Sibérie) et de St Vincent et les Grenadines aient été adoptés par consensus, il n'en a pas été de même pour ceux des populations du Groenland dont les discussions ont été reportées au troisième jour. De même, une proposition d'établissement d'un sanctuaire baleinier dans l'Atlantique sud a été remise au jour suivant.

Le troisième jour des débats a donc commencé sur la proposition de sanctuaire qui a été mise aux votes. Ne pouvant obtenir une majorité des trois quarts (39 votes pour, 29 contre, 3 abstentions), cette proposition n'a donc pas été adoptée. Les discussions concernant les quotas de chasse aborigène de subsistence des populations du Groenland ont suivi, mais en l'absence de progrés, il a été décidé de les remettre au dernier jour pour permettre aux Etats de négocier et de trouver un consensus. Le Japon a ensuite présenté une proposition d'autorisation de chasse baleinière pour quatre de ses communautés côtières (Abashiri, Ayukawa, Wadaura et Taiji). Contrairement à ce que certains médias et ONG ont pu rapporter, il ne s'agissait aucunement de faire passer cette chasse pour une chasse aborigène de subsistence, même si cette activité joue un rôle socioculturel important dans les communautés concernées, notamment lors de fêtes locales (matsuri). En outre, la proposition japonaise comportait des mesures (inspecteurs, etc.) pour permettre le contrôle de cette activité et limiter la consommation des produits de la chasse aux communautés (à l'instar de la chasse aborigène), et supposait la déduction du nombre de rorquals de Minke (balaenoptera acutorostrata) alloué du quota de chasse scientifique dans le Pacifique nord-ouest (programme JARPN2). Le Japon avait également proposé d'abandonner son projet de capturer une cinquantaine de baleine à bosse à partir de cette hiver dans le cadre de son programme JARPA2 (Antarctique). Les discussions n'ayant pas permis de créer un consensus, le Japon a décidé de reporter sa proposition au quatrième et dernier jour de la réunion.

La CBI s'est ensuite penchée sur les permis speciaux de chasse scientifique (article 8 de la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine), précisément les deux programmes japonais et celui de l'Islande. Un rapport des resultats du programme JARPA (1987-2005) a également été présenté. Ces permis spéciaux étant controversés au sein de la CBI, les pays opposés à la chasse ont fait passer une résolution non contraignante et symbolique demandant au Japon (pas à l'Islande!) de retirer son permis spécial pour le programme JARPA2 en Antarctique. Bien que cette résolution ait été adoptée, le vote a été marqué par le refus de participer de 27 pays. Ce n'est pas ce genre de résolutions qui permettra de réduire le fossé entre les deux camps, pro et anti-chasse.

Cependant, la Commission a réussi à se réunir autour d'une résolution sur les questions de sécurité en mer. Cette initiative du Japon et de la Nouvelle-Zélande vient fustiger, sans la citer, les actions périlleuses de l'ONG Sea Shepherd Conservation Society qui avait provoqué plusieurs collisions en haute mer en février dernier.

Le soir du troisième jour, les pays opposés à la chasse ont fait passer une autre résolution sur l'usage non-létal des cétacés, autrement dit en faveur du tourisme baleinier (whale-watching). Là encore, une vingtaine de pays ont refusé de participer au vote. L'intention de ce texte est clairement de détourner la CBI de son mandat, c'est à dire la gestion des populations de grands cétacés et de leur chasse. Les opposants à la chasse baleinière brandissent régulièrement le tourisme baleinier comme substitut économique à cette première. Cependant, ces deux activités ne sont pas totalement incompatibles. Par exemple, dans un récent article de l'AFP, Nagaoka Tomohisa, ancien baleinier reconverti dans le tourisme baleinier à Muroto (Japon), explique que "la chasse à la baleine devrait être autorisée à des peuples comme les Japonais qui ont traditionnellement mangé des baleines comme des poissons". De même, les deux activités coexistent en Norvège et en Islande, malgré les pressions et appels au boycott de certaines ONG.

Le quatrième jour de la réunion a enfin vu l'adoption des quotas pour les gens du Groenland, mais aucun avancement sur la proposition japonaise que la délégation nippone a finalement retirée. Les opposants à la chasse à la baleine ont ensuite fait adopter une résolution relative à la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction) selon laquelle le moratoire serait encore valable, contredisant donc la déclaration de St Kitts et Nevis de l'année dernière. Encore une fois, le vote de cette résolution a été marqué par la non-participation de 26 pays considérant que celle-ci n'était pas appropriée. Finalement, d'autres sujets d'ordre technique ont été discutes lors de cette journée avant la clôture de la réunion. La prochaine pleinière aura lieu du 23 au 27 juin 2008 à Santiago du Chili.
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mercredi, mai 30, 2007

Journalisme et chasse à la baleine - 2

L'autre jour, j'étais assez surpris en lisant une série d'articles écrits par Richard Black, le correspondant de la BBC pour les questions d'environnement. Dans ces articles, l'auteur cherche à comprendre les différents aspects de la chasse à la baleine au Japon : les croyances relatives aux cétacés, la consommation de viande de baleine et la chasse scientifique japonaise. Chose rare, Richard Black évite de nous déballer les préjugés habituels sur la question de la chasse à la baleine.

Citons les commentaires du président du comité scientifique de la CBI, le Dr. Arne Bjørge quant aux programmes de chasse scientifique japonais : "La participation japonaise à la recherche sur les cétacés en Antarctique est considérable et même dirais-je, cruciale pour le comité scientifique (de la CBI)." Concernant la revue du programme japonais en Antarctique JARPA, il explique qu' "en bref, le groupe de revue était très satisfait par les données recueillies (par le Japon) et fournies grâce au programme. Il y a eu quelques conseils sur comment analyser davantage ou mieux les données, mais il y avait un consensus général quant à la grande qualité et l'utilité des données."

A l'inverse, le correspondant de Libération, Michel Temman continue de prouver son manque de professionalisme et ses préjugés sur ce problème dans deux articles parus aujourd'hui. Dans le premier, il nous fait part d'une demande du Japon de chasser 50 baleines à bosse, "espèce très protégée" selon lui (si quelqu'un comprend ce que ça veut dire, qu'il me le dise), auprès de la Commission baleinière internationale. Pourtant le Japon avait déjà annoncé en 2005 qu'il commencerait à capturer ces baleines à partir de l'été austral 2007/2008 dans le cadre de son programme de chasse scientifique JARPA2 en Antarctique. Il n'a pour ce faire besoin d'aucune autorisation de la CBI. Outre l'usage systématique de guillemets autour du mot "scientifique", il nous dit que la France a déclaré "qu'il était reconnu que les recherches scientifiques peuvent être menées sur des baleines sans les tuer". Toujours la même désinformation, donc.

Dans son second article, M. Temman nous ressort l'histoire des hamburgers de baleine de Wada. Un classique, désormais. Bien sûr, il oublie de préciser que les baleines chassées dans ce port ne sont pas sous la juridiction de la CBI et que la saison ne dure que de la mi-juin à la fin août. On a également droit à tout un topo sur la vente et la consommation de viande de baleines capturées dans le cadre des programmes de recherche japonais sur les cétacés. En fin de compte, il nous rabache la même chose que les ONG anti-chasse et d'autres médias, à se demander quel est l'intérêt de son article. En parlant de ce monsieur, il m'avait contacté il y a quelques mois après que j'aie laissé un commentaire à la suite d'un de ces articles sur le site de Libé. Je lui avais alors expliqué ce que je lui reprochais dans son traitement du sujet de la chasse à la baleine au Japon.

En ce qui concerne les débats de la CBI à Anchorage, les quotas de chasse aborigène et de subsistence des Inuits d'Alaska ont été adoptés par consensus pour les 5 ans à venir, contrairement à tout ce que les opposants à la chasse à la baleine pouvaient craindre...ou plutôt voulaient essayer de nous faire croire. Bref, vivement le jour où la plupart des journalistes occidentaux suivront l'exemple de Richard Black et aborderont le sujet de la chasse à la baleine de manière objective.
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jeudi, mai 24, 2007

Préliminaires à la 59e réunion plénière de la Commission baleinière internationale

La Commission baleinière internationale (CBI) va se réunir à partir du 28 mai prochain à Anchorage en Alaska. Bien que les medias n'aient pas accès aux debats, il est possible de les suivre en direct sur internet grâce au site "Kujira portal site" (en anglais/francais/japonais en fonction de la langue des représentants des pays membres). L'année dernière, j'avais ecouté avec intérêt les discussions et je me souviens encore de la mauvaise foi de certaines délégations, notamment de Monaco et du Brésil.

Il y a environ deux semaines, les quelques 200 membres du comité scientifique de la CBI se sont réunis pour discuter de divers sujets relatifs aux cétacés pendant une quinzaine de jours. Ils doivent donner un compte-rendu de ces discussions lors de la réunion plénière. Cet événement a été rapporté dans la presse, et en particulier dans un article de Libération en date du 9 mai. Le titre de cet article fait référence à un "comité contre la chasse commerciale", mais il est improbable qu'il s'agisse du comité scientifique de la CBI puisqu'il n'a pas vocation à prendre position pour ou contre la chasse commerciale. Sans doute l'auteur, Denis Delbecq, s'est-il emmêlé les pinceaux en écrivant sur un sujet qu'il ne maîtrise visiblement pas.

La réunion de l'année dernière ayant été marqué par l'adoption d'une résolution appelée "Déclaration de St Kitts et Nevis" et soulignant entre autres choses, que le moratoire adopté en 1982 n'était plus nécessaire, le camp des opposants à la chasse baleinière, notamment la Grande Bretagne a fait du "recruiting" pour gonfler ses rangs. Ainsi, la Croatie, Chypre, l'Equateur et la Grèce ont rejoint la CBI qui compte désormais 75 pays membres. Cela signifie que les opposants à la chasse à la baleine ont décidé de poursuivre leur politique d'affrontement et de blocage de la CBI malgré les efforts fournis par le Japon pour trouver une solution consensuelle.

Dans le même temps, les ONG anti-chasse telles que Greenpeace et l'IFAW ont lancé leurs campagnes de désinformation. On pouvait par exemple lire dans les médias anglophones que le Japon chercherait à coup sûr d'utiliser le vote sur les quotas de chasse aborigène de subsistence des Inuïts d'Alaska pour faire autoriser la capture de rorquals de Minke dans quatre communautés baleinières nippones. Si certes, le Japon a tenté de dénoncer les doubles critères employés par les Etats-Unis sur la question de la chasse à la baleine en bloquant le vote des quotas de chasse des Inuits d'Alaska lors de la session plénière de 2002 (ils avaient ensuite été adoptés lors d'une réunion spéciale fin 2002), les porte-parole de l'Agence aux pêches japonaise ont d'ores et déjà annoncé qu'ils ne recommenceraient pas.

Récemment, Greenpeace a exposé devant la Porte de Brandebourg à Berlin, les cadavres de 17 cétacés victimes des activités humaines (filets de pêche, collisions avec des bateaux, etc.) en Europe pour souligner l'importance de protéger les baleines contre ... la chasse. Malheureusement, bien plus que la chasse, ce sont bien les activités maritimes des hommes qui menacent le plus ces animaux. Une espèce comme la baleine franche en Atlantique nord reste dans une situation critique, malgré le fait qu'elle soit protégée contre la chasse depuis 70 ans, et ce du fait des filets de pêches et des collisions avec des navires. La motivation de Greenpeace se trouve sans doute plus au niveau du porte-monnaie que de la sensibilisation de l'opinion publique sur les véritables problèmes.

En Australie, le parti travailliste a annoncé qu'il enverrait des navires de la marine nationale pour surveiller et stopper les activités "illégales" de chasse à la baleine japonaise en Antarctique en cas de victoire électorale. Ce pays ayant établi un sanctuaire baleinier dans sa zone d'exclusivité économique en 1999, certains politiciens australiens considèrent que cette zone s'étend aux eaux se trouvant au large du territoire que l'Australie revendique sur le continent antarctique. Malheureusement, le Traité sur l'Antarctique de 1961 non seulement gèle les revendications territoriales mais fait également de cette zone une région démilitarisée. L'Australie étant dans une année électorale, cette déclaration n'avait probablement pour objectif que de séduire les plus crédules.

La propagande anti-baleinière et la désinformation devraient battre leur plein dans les jours qui viennent.
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mercredi, mai 09, 2007

Chant et danse de la chasse à la baleine à Heda

Le mois dernier, je suis allé dans le petit port de Heda (ville de Numazu, département de Shizuoka), sur la côte ouest de la péninsule d'Izu. Là, se trouve, au bout d'une étroite péninsule sablonneuse, le sanctuaire Moroguchi-jinja 諸口神社. Il s'y tenait ce jour-là une fête lors de laquelle étaient présentés plusieurs chants et danses de pêcheurs hérités de la période d'Edo. Le chant qui m'intéressait particulièrement est celui du harponnage de la baleine dit kujira tsuki-uta 鯨突き唄 (voir vidéo).

Bien que le port de Heda n'ait pas de passé baleinier, il a entretenu d'étroites relations avec la province de Kii (aujourd'hui département de Wakayama) lors du transport de pierres pour le compte des Tokugawa de Kii. Il semblerait donc que ce chant ait été transmis de cette province où l'activité baleinière était alors importante, notamment à Taiji. On dit même qu'une soupe contenant de la viande de baleine était servie lors de banquets organisés par le chef des pêcheurs de Heda, Suguro Yosabê 勝呂弥十兵衛. Toutefois, le fait que l'on évoque dans ce chant la capture d'une baleine à bec de Baird - tsuchi (kujira) 槌(鯨) - laisse plutôt présager de liens avec les baleiniers de Katsuyama qui chassaient cette espèce à cette époque.



Toujours est-il que ce chant et la danse qui l'accompagne démontrent l'influence des kujiragumi en dehors de leurs régions et la consommation, même occasionnelle, de viande de baleine dans des régions non-baleinères.
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vendredi, avril 27, 2007

L'organisation des kujiragumi - 1

Nous avons précédemment vu que des groupes de baleiniers dits kujiragumi opéraient dans différentes régions du Japon durant la période d'Edo. Penchons-nous maintenant sur l'organisation du travail dans ces groupes. Comme je l'ai évoqué auparavant, on peut différencier les kujiragumi en fonction des techniques de chasse qu'ils emploient : ceux qui chassent au harpon (tsukigumi 突き組) et ceux qui utilisent harpons et filets (amigumi 網組). Ces derniers ayant été les plus nombreux à partir de la fin du 17e siècle, nous nous limiterons ici à l'organisation du travail des amigumi.

La structure sociale des kujiragumi reflètent souvent celle des communautés où ils opéraient. C'est particulièrement le cas de villages comme celui de Taiji dont l'activité principale était la chasse à la baleine. Il faut cependant tenir compte des kujiragumi de l'ouest de Kyûshû dont la main d'œuvre provenait de nombreuses régions et se rassemblait pour les saisons de chasse. Ces mouvements de personnes s'expliquent par les besoins des kujiragumi en travailleurs spécialisés. Ainsi, c'est au mois d'août que de nombreux artisans se réunissaient pour les travaux préparatifs dits maesakuji 前作事 ou maezaiku 前細工 qui consistaient à confectionner les cordes et filets, les bateaux, les harpons et autres ustensils nécessaires aux opérations baleinières.

Le lieu qui sert de base aux opérations sur terre du kujiragumi s'appelle le nayaba 納屋場 et est composé de plusieurs bâtiments dits naya 納屋 qui ont chacun différentes fonctions. Tous ces batiments sont sous le commandement de superviseurs appelés bettô 別当 qui s'inscrivent dans l'organisation pyramidale du kujiragumi. En divers endroits surélevés sont installés des postes de guets dits yamami 山見 permettant d'observer les environs et de repérer le passage de baleines non loin des côtes. Les informations relatives aux baleines repérées (emplacement, direction, nombre, espèce, etc.) étaient transmises au poste de commandement du nayaba à l'aide de fanions ou de signaux de fumée. De fait, les yamami jouaient un rôle crucial dans les activités du kujiragumi et le guetteur (yamami-ban 山見番) ayant repéré une baleine était souvent récompensé de manière substantive (à condition bien sûr que la chasse ait été fructueuse).

L'ensemble des opérations ayant lieu en mer sont généralement désignée sous le terme okiba 沖場. Lorsqu'une baleine a été repérée, les dirigeants du kujiragumi décident généralement de l'endroit où deployer les filets. Ces derniers sont à la charge d'embarcations appelées amibune 網船 ou sôkaibune 双海船 qui allaient généralement par deux ou trois pour un filet. Le piege ainsi formé par les filets ouverts en deux ou trois épaisseurs est appelé ajiro 網代 ou amiba 網場.

Une fois les filets deployés, une vingtaine de bateaux rabatteurs dits sekobune 勢子船 à bord de chacun desquels se trouve un harponneur (hazashi 刃刺) et une douzaine de rameurs (kako 水夫) se chargent de prendre en chasse la baleine et de la diriger vers le piège. Pour ce faire, ils adoptent une formation en "V" et effraient le cétacé en battant les bords du bateau à l'aide de gourdins et en criant. Lorsque la baleine se prend dans les filets, les hazashi commencent le harponnage, d'abord à l'aide de harpons légers appelés hayamori 早銛 puis de plus en plus lourds (yorozumori 萬銛) généralement reliés aux bateaux ou à des flotteurs par des lignes pour épuiser la baleine. Il fallait généralement plusieurs dizaines, voire plus d'une centaine de harpons pour affaiblir l'animal.

A ce moment, plusieurs hazashi plongent dans l'eau, couteau entre les dents, et nagent en direction de la baleine pour accomplir la périlleuse tâche du hanakiri 鼻切り. Le hanakiri consiste à grimper sur l'animal agonisant et à percer un trou dans son évent pour y passer une corde puis à enrouler cette corde autour du corps de la baleine en plongeant en dessous plusieurs fois. L'animal est ensuite mis à mort à l'aide de lances (ken 剣). Les baleiniers entonnent alors trois fois "namuamidabutsu 南無阿弥陀仏" en prière pour le repos de l'âme de la baleine. Le cadavre de cette dernière est ensuite attaché à deux bateaux remorqueurs appelés mossôbune 持双船, reliés l'un à l'autre par des poutres transversales, puis conduit vers la côte pour le dépeçage.

A suivre...
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lundi, avril 16, 2007

Journalisme et chasse à la baleine

Il est assez impressionnant de voir à quel point le traitement de l'information diffère entre les pays occidentaux et le Japon quand il s'agit de chasse à la baleine. Autant les médias nippons sont d'une neutralité déconcertante, ne diffusant que des faits bruts, autant les journalistes occidentaux, en particulier anglophones, sont fortement influencés par la propagande anti-baleinière des Greenpeace et autres WDCS (au point d'ailleurs de quasi-systématiquement citer le porte-parole de l'une de ces ONG). On ne peut pas critiquer les gens d'avoir une opinion sur un sujet donné, mais parfois on sent un manque de recherche sur le sujet de la chasse à la baleine.

Il y a deux mois, Reuters, l'une des plus importantes agences de presse, a publié un article et un reportage (voir vidéo) sur un hamburger de baleine servi dans un restaurant du port de Wada (département de Chiba). L'idée générale de cet article et de ce reportage, c'est que les promoteurs de la chasse à la baleine essayent de stimuler l'appétit des jeunes Japonais en mettant au point de nouvelles recettes telles que le "kujira burger" dont il est question. En toile de fond, on a l'idée vehiculee par les ONG anti-chasse que les stocks de viande de baleine frigorifiée continuent d'augmenter du fait du dedain des Japonais pour cet aliment, atteignant environ 4500 tonnes en novembre 2006. Pourtant, ces stocks ont bien baissé depuis. En fevrier 2007, ils étaient de 3161 tonnes.

Wada se situe à un peu plus de deux heures de voiture ou de train de Tôkyô, dans une région plutôt rurale. Il est donc peu probable que de nombreux jeunes Tôkyôïtes fassent le déplacement uniquement pour déguster un hamburger de baleine. D'autant plus que ce plat n'est servi qu'un jour par mois, chose qu'Olivier Fabre oublie de préciser dans son reportage pour Reuters. Ce n'est pas comme ça que les stocks de viande de baleine vont s'écouler.



Voulant en savoir plus, je me suis rendu dans ce restaurant au mois de février dernier et ai posé quelques questions au gérant que j'avais déjà rencontré en juillet 2006. Là, on m'a appris qu'il y avait deux recettes de hamburgers de baleine, l'une à base de viande de rorqual de Minke, l'autre avec de la chair de baleine à bec de Baird. Cette deuxième espèce est chassée commercialement en été au large de la péninsule de Bôsô et n'a absolument rien à voir avec les stocks de viande de baleine qui s'accumuleraient. On m'a également expliqué que la plupart des jeunes des environs mangeaient de la baleine sans réticences, ce qui parait tout à fait normal si l'on prend en compte le fait que cette région a une longue tradition baleinière.

Ce qui est intéressant dans cette histoire, c'est que les mêmes "kujira burgers" avaient déjà fait l'objet d'un article de la part de Reuters en juin 2006. De même, une chaine de fast-food de Hakodate (département de Hokkaidô) avait déjà lancé un plat du même genre en 2005. Autrement dit, rien de nouveau. En fait, je pense que l'objectif des journalistes est de faire du sensationnel. Business, quand tu nous tiens !

Enfin, si on compare le "kujira burger" de la photo à celui qu'Olivier Fabre mange devant un MacDonald's (précision : il n'y a pas de McDonald's à Wada !), on peut se demander si la viande de baleine n'a pas disparu du hamburger du journaliste de Reuters...

Crédit photo : Reuters.

Mise à jour (28 avril 2007) :
Il semble que la vidéo du reportage d'Olivier Fabre ne soit plus disponible sur Youtube. Elle est cependant disponible sur le site de Reuters.
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samedi, avril 07, 2007

La baleine de Shinagawa

A Tôkyô, non loin de la gare de Shinagawa, se trouve un petit sanctuaire shintô du nom de Kagata-jinja 利田神社. A côté de ce dernier est érigé un monument funéraire (kujira-zuka) dédiée à une baleine qui s'est echouée dans la baie d'Edo à la fin du 18e siècle.

Le 1er mai 1798 (an 10 de l'ère Kansei), une baleine qui s'était perdue dans la baie d'Edo suite à une violente tempête fut repérée par des pêcheurs locaux. Ces derniers parvinrent à capturer l'animal affaibli en le faisant s'échouer dans les eaux de Tennôzu. La capture de ce cétacé qui mesurait environ 16 mètres de long et 2 mètres de haut, a attiré l'attention des habitants d'Edo, dont le 11e shôgun, Tokugawa Ienari 徳川家斉. L'effervescence créée par ce spectacle extraordinaire dans la baie d'Edo a été reproduite dans une estampe de Katsukawa Shuntei 勝川春亭 (1770-1820) intitulée "Shinagawa-oki no kujira Takanawa yori miru zu" 「品川沖之鯨 高輪ヨリ見ル図」 (Vue de la baleine de Shinagawa depuis Takanawa).



Après avoir été exposée à la vue de tous, le cadavre de la baleine fut achetée par un marchand du quartier de Utagawa-chô pour quelques 41 ryô (entre 1 et 2 millions de Yen actuels). La tête de l'animal a été enterrée là où se trouve actuellement la stèle funéraire. Bien que les écrits de l'époque ne précisent pas de quelle espèce il s'agissait, on pense que c'était une baleine bleue.
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samedi, mars 31, 2007

"L'amour des baleines" de Greenpeace - 9 et 10

La série de Greenpeace s'est conclue jeudi dernier (le 29 mars). Les deux derniers épisodes emmènent les reporters de Greenpeace, Ivan Rigual et Koinuma Yuki à Zamami (département d'Okinawa). Là, ils rencontrent un pêcheur à la retraite, M. Miyahira Hideaki qui leur explique que les baleines avaient quasiment disparu des eaux au large de cette île dans les années 1950. Depuis, les baleines ont recommencé à augmenter et une industrie de tourisme baleinier (whale-watching) s'est développée à Zamami.

L'objectif principal d'Ivan et de Yuki, c'est d'aller voir des baleines, chose qu'ils font dans le 10e et dernier épisode. Après ça, ils font le point sur ce que les rencontres et découvertes qu'ils ont faites durant ces 10 semaines leur ont apporté. Ce qu'ils retiennent, c'est que les Japonais n'ont pas tous la même relation avec les baleines : certains les mangent, d'autres préfèrent les regarder. Il faut noter qu'ils évitent de porter un jugement sur la premiere catégorie. C'est une bonne chose. Toutefois, on peut regretter que de nombreux aspects socioculturels de la chasse à la baleine au Japon aient été ignorés ou abordés de façon très superficielle.

Le site devrait continuer d'exister, malgré la fin de la série.

P.S. :
Suite de l'affaire concernant la venue au Japon d'un navire de Greenpeace, l'Esperanza. Il semble que le syndicat des marins japonais ait reussi à faire pression sur l'agent que Greenpeace avait mandaté pour remplir les procédures d'entrée dans le port de Tôkyô. Résultat, l'Esperanza reste au large du Japon et l'événement "portes ouvertes" que Greenpeace prévoyait d'y organiser a été annulé. La porte-parole de l'ONG, Sara Holden aurait critiqué les autorités japonaises, dénonçant ce qu'elle appelle une "atteinte à la liberté d'expression".

Pourtant, il semble que plusieurs membres de leur équipage, notamment la chef d'expédition Karli Thomas et le capitaine Frank Kamp, soient présents sur le territoire nippon où ils ont tenu une conférence de presse. Ils organisent également une intervention de deux de leurs membres demain (le 1er avril), dans un restaurant de Yokohama. La liberté d'expression de Greenpeace au Japon ne semble donc pas particulièrement menacée.
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mardi, mars 27, 2007

Fête Haraso dans le port de Kajika

Le 15 janvier dernier, s'est tenu dans le port de Kajika (ville d'Owase, département de Mie) la fête Haraso ハラソ祭り. N'ayant pas le don d'ubiquité (j'étais à Arikawa, ce jour-là), je n'ai pas pu m'y rendre, mais je vais tout de même faire une petite présentation de cette fête.

Haraso serait le cri que les kako (rameurs) entonnent lorsque le hadashi (=hazashi, harponneur) lance son harpon. Tout comme pour de nombreux villages situés sur la côte est de la péninsule de Kii, la chasse à la baleine était pratiquée à Kajika par un kujiragumi durant la période d'Edo. Cette fête est directement héritée de cette ancienne tradition.

Le matin du 15 janvier, un office funéraire dédié aux baleines est organisé au temple Jizôji 地蔵寺, à partir de 10 heures. Lorsque cet office est terminé, de jeunes gens originaires de ce port montent à bord d'une embarcation à rames appelée haraso-bune ハラソ船 et se rendent au sanctuaire Asuka-jinja 飛鳥神社 dans le port voisin de Sone. Ils sont maquillés et vêtus de vestes (juban 襦袢) colorées. L'un d'entre eux se voit confier le rôle de hadashi. A deux reprises, il lance un harpon vers le ciel pour s'exercer, avant de répéter ce geste devant le sanctuaire Asuka-jinja.

Le bateau retourne ensuite vers le port de Kajika. Là aussi, le même rituel symbolisant le harponnage d'une baleine est pratiqué, d'abord devant le lieu appelé Kujira-ishi 鯨石 où les baleines étaient autrefois dépecées, puis en divers endroits du port : sanctuaires, maison du représentant du quartier, etc.
Tout en lançant le harpon, le hadashi danse à la proue de l'embarcation dans un style qui rappelle un peu le jeu des acteurs de théâtre kabuki. De même, les rameurs se baissent et lèvent de temps en temps leurs rames pour symboliser une grosse vague provoquée par une baleine qui se débat.

Cette fête qui a pour but de favoriser une bonne saison de pêche, est l'une des rares occasions permettant de contempler les techniques anciennes de harponnage et de navigation des kujiragumi.

Crédit photo : Yomiuri Shinbun.
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mercredi, mars 21, 2007

"L'amour des baleines" de Greenpeace - 7 et 8

La série de Greenpeace intitulée "Whale-Love Wagon" continue et deux nouveaux épisodes ont été mis sur le site les 8 et 15 mars derniers. Cette fois, Ivan et Yuki, les deux reporters "indépendants" de Greenpeace se rendent à l'Université de Science et de Technologie marine de Tôkyô. Là, ils rencontrent le Professeur Katô Hidehiro qui est un expert en cétologie.

M. Katô les guide vers une gallerie où est exposée le squelette d'une baleine franche de 17,1 mètres, le plus grand au monde. Ce que Greenpeace a oublié de préciser dans cette vidéo, c'est que la baleine franche en question a été capturée au large de l'Alaska en aout 1961 dans le cadre d'un programme de chasse scientifique conduit par le gouvernement japonais entre 1956 et 1968 en accord avec l'article VIII de la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine. Précisons également que bien que les baleines franches soient protégées depuis 1937, elles restent dans un état critique, notamment à cause des filets de pêches, des collisions avec des navires et de la pollution.

Près ce squelette de baleine, M. Katô explique donc grossièrement l'évolution et la biologie des baleines à Yuki et Ivan. Vu leur ignorance des cétacés en général (à Muroto, ils n'avaient pas été capables de reconnaître la statue d'une baleine à bosse), il me semble qu'il aurait sans doute été préférable de commencer cette série par ce 7e épisode.

Lors de l'épisode 8, M. Katô continue son explication en évoquant le rôle des régions polaires pour les baleines et les cycles migratoires des cétacés. Bizarrement, Greenpeace préfère se concentrer sur l'Antarctique alors que les baleines de l'hémisphere nord ne s'y rendent jamais. Cela s'explique sans doute par la présence de propagande très généraliste en-dessous des vidéos, sur le site de "Whale-Love Wagon". Comme d'habitude, le but n'est pas tant d'informer que de désinformer. D'ailleurs, l'encart publicitaire faisant appel aux dons en page d'accueil du site (en bas à droite) n'est pas là pour rien non plus.

J'ai également constaté quelque chose d'étrange en regardant la vidéo de l'épisode 7. En entrant dans la gallerie où se trouve le squelette de la baleine, Ivan et Yuki disent exactement la même chose, mot pour mot, que lorsqu'ils ont vu la statue de la baleine à bosse à Muroto. Est-ce que le son a été édité à cet endroit ? Mystère...

P.S. :
Il semble que l'un des navire de Greenpeace, l'Esperanza, soit en route pour le Japon où il devrait arriver fin mars. Le syndicat des marins japonais aurait demandé aux autorités d'interdire l'accès de ce navire aux ports nippons. Greenpeace a declaré vouloir inviter les dirigeants de l'Agence aux pêches et de l'Institut de recherche sur les cétacés à bord de l'Esperanza. Affaire à suivre.
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mercredi, mars 14, 2007

Fête Mêzaiten d'Arikawa

Le 14 janvier de cette année, j'ai fait une petite escapade dans le port d'Arikawa (îles Gotô, département de Nagasaki) pour assister à la fête Mêzaiten 弁財天(メーザイテン)祭り. Le port d'Arikawa est situé sur l'île de Nakadoorijima, dans la région du Saikai, à l'ouest de l'île de Kyûshû. C'est dans cette région que la chasse à la baleine a le plus prospéré durant la période d'Edo. On a compté jusqu'à plus de 70 kujiragumi opérant dans cette partie du Japon à cette époque.

Le kujiragumi d'Arikawa a été organisé par Eguchi Jinzaemon Masaaki 江口甚左衛門正明 avec l'aide d'un chasseur de Koza (province de Kii) en 1626. Après sa mort en 1661, sa succession est assurée par l'un de ses fils, Eguchi Jin.emon Masatoshi 江口甚右衛門正利, mais le partage l'année suivante de l'île entre les fiefs de Fukue et de Tomie va être la cause d'une longue dispute territoriale entre les villages voisins d'Arikawa et d'Uonome, stoppant les activités du kujiragumi d'Arikawa. Ce n'est que 29 ans plus tard, en 1690, et après quatre aller-retours jusqu'à Edo d'une délégation dirigée par Eguchi Jin.emon pour demander la résolution du conflit au shôgoun, que les pêcheurs d'Arikawa se verront autoriser de nouveau la chasse à la baleine et que le kujiragumi sera reformé.

Lors de ces déplacements, Eguchi Jin.emon et ses compagnons ont visité quelques 96 temples et sanctuaires pour s'assurer une issue favorable à leur problème territorial. Parmi ces sites se trouve celui de Benzaiten à Kamakura, dont Eguchi était un fervent adorateur. En remerciement pour leur victoire dans le conflit qui les opposaient au village d'Uonome en 1691, il décida de créer sanctuaire en l'honneur de Benzaiten à Arikawa, le Mêzaiten-gû, faisant de ce dernier le protecteur du kujiragumi. C'est à cette période qu'ont débuté les célébrations de la fête Mêzaiten, généralement tenues le 14 janvier.



De nos jours, de jeunes gens réunis en groupes représentant les six quartiers du port d'Arikawa participent à cette fête, vêtus de vestes happi et portant un bandeau rouge ceint autour de la tête ou des épaules. Le rituel consiste à entonner des chants hérités du kujiragumi tout en battant du tambour (voir vidéo) et commence par une visite au sanctuaire Mêzaiten-gû à l'aube (vers 6h30-7h00 du matin). Ils font ensuite le tour des différents monuments baleiniers du port avant de visiter les foyers de leurs quartiers respectifs, jusque tard le soir.

Outre le sanctuaire Mêzaiten-gû, il reste plusieurs sites témoignant du passé baleinier d'Arikawa. Le plus impressionnant est sans aucun doute le sanctuaire Kaidô-jinja qui possède un portique torii 鳥居 constitué avec les os de la mâchoire d'une baleine bleue (photo 1). Non loin de là se trouve le mont Kujirami au sommet duquel a été reconstituée une petite cabane qui servait autrefois à repérer les baleines (yamami-goya 山見小屋). A côté ont été érigées des stèles funéraires (kuyô-hi 供養碑) à la mémoire des baleines capturées par les gens d'Arikawa (photo 2). Depuis la cabane, on peut apercevoir, en contrebas, le lieu où les cétacés étaient autrefois dépecées (photo 3). En outre, le terminal des ferries d'Arikawa comporte un petit musée dédié à l'histoire de la chasse à la baleine à Arikawa. On peut y regarder une animation très bien réalisée d'une peinture ancienne décrivant la façon dont le kujiragumi opérait autrefois.
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lundi, mars 12, 2007

Les Aïnous et les baleines

Jusqu'à présent, nous avons suivi l'évolution de la chasse à la baleine par les Japonais (Wajin), mais d'autres peuples de cet archipel ont aussi profité des bénéfices des courants marins qui circulent le long des côtes japonaises. Cette fois-ci, je propose de nous pencher sur le cas des Aïnous, peuple autochtone du nord du Japon.

Tous comme je l'ai évoqué précédemment, les contacts entre les habitants de l'archipel japonais et les cétacés remontent à la préhistoire. De nombreux ossements de cétacés ont été retrouvés lors de fouilles sur des sites datant de l'époque Jômon (de -10.000 à -300). Ainsi sur l'île de Hokkaidô, des ustensils tels que des peignes en os de baleine datant d'il y a environ 4000 ans ont été découverts sur le site de Yakumo Kotan 八雲コタン遺跡. L'exhumation sur le site archéologique de Kikyô 2 桔梗2遺跡, près de la ville de Hakodate, d'une statuette en terre cuite représentant une orque et datant du milieu de la période Jômon est particulièrement intéressante. De même, des ossements de dauphins allignés en lignes parallèles ou en forme d'étoile et recouverts d'ocre rouge ont été découverts sur le site archéologique de Higashi-Kushiro 東釧路貝塚 (ville de Kushiro), indiquant la possibilité d'un rite relatif à la chasse aux dauphins.

Au 5e siècle, la culture dite d'Okhotsk a fait son apparition le long du littoral de la mer du même nom, sur les cotes de Sakhaline, de Hokkaido et des îles Kouriles. Ce peuple de chasseurs-pêcheurs construisait de solides embarcations et chassait les mammifères marins près des côtes. Sur un étui à aiguilles fabriqué avec un os d'oiseau et qui a été découvert sur le site de Bentenjima 弁天島貝塚 (5e siècle) près de Nemuro, est gravé d'un dessin représentant ce qui semble être une scène de chasse à la baleine. On peut y distinguer un homme debout sur un bateau et tenant un harpon. L'embarcation est reliée par des lignes à une forme ressemblant fortement à une baleine.

Bien que la culture aïnou soit probablement apparue aux alentours du 13-14e siècles, ce n'est que grâce aux rapports d'explorateurs occidentaux datant des 17-18e siècles que l'on sait que les Ainous chassaient autrefois les cétacés. Ils capturaient principalement de petits cétacés et des baleines qui s'étaient échouées sur la côte en essayant d'échapper à des orques. Il faut d'ailleurs souligner le fait que les baleines, hunpe, ne sont généralement pas considérées comme des kamuy (esprits) faisant l'objet de cultes, contrairement aux orques que les Aïnous appellent repun kamuy (dieux de la mer). Autrefois, tout comme dans le cas de l'ours, des statuettes en bois représentant des orques (kamuy rini) étaient utilisées lors de rituels dits kamuynomi.

De même, la découverte de baleines échouées sur la plage était considérée comme un don des dieux. On trouve d'ailleurs encore aujourd'hui à Hokkaidô des danses telles que les hunpe rimse et des noms de lieux comportant le mot hunpe (baleine) témoignant de ce phénomène. Les carcasses des cétacés ainsi découverts étaient généralement la propriéte du kotan (village) et partagées entre les membres du village. Bien que la chair et le lard étaient principalement consommés localement, ces produits devinrent également des articles d'échanges avec le développement des relations entre les Aïnous et les Japonais.

D'après une enquête menée par Natori Takemitsu auprès d'anciens, les Ainous de la baie de Funka ont chassé les baleines jusqu'au début du 20e siècle. Les espèces visées étaient le rorqual de Minke (nokor hunpe) et le rorqual boréal (sinokor hunpe). La chasse avait lieu au mois de mai. Les pêcheurs aïnous gardaient des harpons (kite) enduits d'un mélange de poison (aconite) et de bile de corbeau ou de renard à bord de leurs embarcations dites itaomacip au cas où ils croiseraient une baleine.

Bien que les Aïnous ne chassent plus les baleines aujourd'hui, il est possible qu'ils demandent un jour à se voir autoriser cette pratique traditionnelle de la même façon que d'autres peuples autochtones tels que les Makah en Amérique du Nord. Il semble d'ailleurs que des membres de l'Association Utari de Monbetsu aient déjà un projet de ce genre.

Crédits photos :
1. Hakodate City Museum
2. Hokkaido University
3. The Ainu Museum
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samedi, mars 03, 2007

"L'amour des baleines" de Greenpeace - 5 et 6

Les 22 février et 1 mars derniers, Greenpeace a diffusé deux nouveaux épisodes de son feuilleton internet intitulé "Whale-Love Wagon". Cette fois-ci, Yuki et Ivan nous emmènent à Muroto et rendent visite à un ancien canonnier (celui qui tire les harpons sur les baleines à bord d'un baleinier) qui s'est reconverti en opérateur de tourisme baleinier (whale-watching).

En arrivant à Muroto, les deux protagonistes "indépendants" de Greenpeace passent à côté du petit musée local dédié à l'histoire de la chasse à la baleine (Kiramesse Muroto - kujirakan isanogô) où se trouve un monument représentant une baleine à bosse. Pourtant, malgré tout l'intérêt qu'ils semblent avoir pour les baleines, Yuki et Ivan sont incapables de reconnaître de quelle espèce il s'agit. D'ailleurs, ils n'ont apparemment pas visité ce petit musée qui leur aurait permis de mieux connaître la relation des gens de Muroto avec les baleines.

Ils se rendent donc au domicile de M. Nagaoka Tomohisa (75 ans) qui a pris part aux campagnes de chasse à la baleine en Antarctique pendant 20 ans dont 16 en tant que canonnier. Après avoir montré diverses photos de cette époque, M. Nagaoka explique à Yuki et Ivan dans quelles conditions on chassait les baleines alors. Il mentionne notamment les systèmes de Whaling Olympics (Olympiades baleinières) et de Blue Whale Unit (Unité baleine bleue). Ces mesures mises en place par la Commission baleinière dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale établissaient un quota global (16.000-15.000 BWU jusqu'en 1962-63) pour toutes les nations calculé en fonction des équivalences de la quantité moyenne d'huile pouvant être extraite des différentes espèces de grands cétacés (sauf le cachalot). Il va sans dire que ces mesures qui n'ont été abolies respectivement qu'en 1962 et 1972, ont eu un effet désastreux sur les populations de grandes baleines.

Dans son entretien avec les deux jeunes gens, M. Nagaoka exprime son regret quant aux massacres qui ont eu lieu dans le passé. C'est un sentiment partagé par la plupart des gens qui ont pris part aux campagnes de chasse à la baleine à cette époque (années 1950-60). Selon certains témoignages, la concurrence entre les différentes flottes baleinières était telle que les baleiniers utilisaient parfois les cadavres des baleines comme "pare-chocs" pour gagner du temps et les carcasses ne pouvant être complètement dépecées étaient rejetées à l'eau. Heureusement, ce genre de chose ne peut plus se produire aujourd'hui.

M. Nagaoka profite désormais de l'excellente connaissance des cétacés qu'il a acquise durant sa carrière pour organiser des excursions de tourisme baleinier. C'est ce que les opposants à la chasse à la baleine promeuvent comme substitut à la chasse à la baleine. Il n'est donc pas étonnant que Greenpeace souligne le cas de M. Nagaoka. Mais outre le fait que le tourisme baleinier pose également des problèmes, il n'est pas forcément incompatible avec la chasse à la baleine comme l'indique Segi Shio dans un article publié en 2003 dans le bulletin de la CPS. En fait, il aurait été intéressant de savoir si M. Nagaoka mange de la viande de baleine.
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vendredi, février 23, 2007

L'histoire de la chasse à la baleine au Japon - 4

Comme je l'ai évoqué la fois précédente, les organisations de chasse à la baleine appelées kujiragumi vont connaître un déclin à partir de la moitié du 17e siècle. La principale cause de ce déclin réside dans la faible efficacité des techniques de chasse au harpon : de nombreux animaux sont blessés mais parviennent à échapper aux chasseurs.

Ce problème va être réglé entre 1675 et 1677 grâce à une innovation technologique : l'introduction de filets dans les techniques de chasse baleinière des kujiragumi (amikake-tsukitorihogei 網掛け突き捕り捕鯨). On considère que cette idée serait venue au dirigeant du kujiragumi de Taiji, Taiji Kakuemon 太地覚右衛門 en observant un insecte piégé dans une toile d'araignée, mais il est fort probable que les techniques de pêche de l'époque en soient l'origine réelle. L'utilisation des filets permet non seulement d'assurer la capture des baleines, mais elle permet également aux kujiragumi d'entreprendre la chasse des espèces de cétacés dont le cadavre coule apres la mort de l'animal (rorquals).

Tout comme les techniques de chasse au harpon au début du 17e siècle, l'introduction des filets va être transmise aux autres régions pratiquant la chasse à la baleine, atteignant le Tosa (Muroto) dès 1683 et le Saikai (Ouest de Kyûshû) à la fin du 17e siècle. La chasse aux harpons seuls continuera néanmoins d'exister dans certaines régions, en particulier à Katsuyama, du fait des caractéristiques des espèces chassées (ex: baleine à bec de Baird) ou de la configuration des fonds marins. On différencie donc les kujiragumi en fonction des techniques de chasse qu'ils emploient : les tsukigumi 突き組 chassent uniquement au harpon, les amigumi 網組 utilisent également les filets.

L'utilisation des filets va permettre un nouvel essor des kujiragumi, notamment dans la région du Saikai, à l'ouest de Kyûshû, où il y a eu jusqu'à environ soixante-dix groupes de chasse. Cette période va également voir la diversification de l'usage des produits de la chasse. Ainsi, l'huile de baleine qui était principalement utilisée pour l'éclairage, va aussi servir dans les champs après la découverte à la fin du 17e siècle de ses vertus pour repousser les insectes nuisibles. De même, les fanons servent par exemple à la conception des marionnettes de théâtre bunraku. Des ouvrages traitant de la chasse à la baleine tels que le Saikai geigei ki 西海鯨鯢記 (1720) et l'Isanatori ekotoba 勇魚取絵詞 (1829) font également leur apparition à cette époque.

Toutefois, la diminution brutale du nombre de baleines s'approchant des côtes japonaises à partir du milieu du 19e siècle va progressivement provoquer la fin des kujiragumi.

A suivre...
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samedi, février 17, 2007

Les tombes de baleines de Katsuyama

Aujourd'hui (17 février 2007), je me suis rendu à Katsuyama (Ville de Kyonan, département de Chiba), le port où les deux protagonistes de "Whale-Love Wagon" ont visité récemment.

Comme je l'ai évoqué précédemment, la chasse à la baleine y a commencé au début du 18e siècle sous la direction d'un seigneur local, Daigo Shinbê Sadaaki 醍醐新兵衛定明 (1630-1704). Le nom de Daigo Shinbê a en fait été transmis de génération par les dirigeants (motojime 元締め) du kujiragumi de Katsuyama. La tombe de Daigo Shinbê I (Sadaaki) se trouve sur le flan du mont Daikoku à Katsuyama. Celles de ses descendants sont au temple Myôten-ji 妙典寺.

Tout près de ce temple, se trouve le sanctuaire Kachiyama-jinja 加知山神社. Un chant que les pêcheurs du kujiragumi de Katsuyama entonnaient autrefois pour célébrer la capture d'une baleine, est encore chanté de nos jours lors d'un rituel shintô de ce sanctuaire, organisé tous les ans en juillet. De même, il était de coutume que le dirigeant du kujiragumi offre aux pêcheurs des kimono appelés maiwai 万祝 lorsque la saison avait été particulièrement bonne. Cette coutume régionale n'était pas exclusive à la chasse à la baleine et était pratiquée dans la plupart des pêches. Des maiwai peuvent être contemplés au Musée préfectorale d'Awa 千葉県立安房博物館 dans la ville voisine de Tateyama.

Un peu plus loin, se trouve un petit sanctuaire où ont été érigées de petites tombes dédiées aux baleines (kujira-zuka 鯨塚). Près d'une centaine de ces tombes auraient été érigées à la fin de chaque saison, mais il n'en reste qu'une cinquantaine aujourd'hui. Il faut noter que contrairement aux kujiragumi des autres régions qui opéraient en hiver, celui de Katsuyama chassait l'été, lorsque les baleines à bec de Baird migrent près des côtes de la péninsule Bôsô. En moyenne, neuf animaux étaient capturés par an à cet époque.
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jeudi, février 15, 2007

"L'amour des baleines" de Greenpeace - 3 et 4

Pendant que Sea Shepherd joue aux auto-tamponneuses contre les navires de la flotte baleinière japonaise en Antarctique, Greenpeace continue son approche "soft" de la question avec son feuilleton "Whale-Love Wagon". Lors du 3e épisode qui a été rendu publique jeudi dernier (8 février 2007), Ivan et Yuki sont conviés par deux grand-mères qu'ils ont rencontrées à Kyonan, à goûter des plats à base de viande de baleine. Avant de manger de la baleine frite, Ivan ne peut s'empêcher de dire que ça lui fait un peu peur car c'est la première fois qu'il y goûte. L'une des deux grand-mères le rassure en lui disant que c'est bon. Après avoir vaincu ses craintes, il répond à la dame que c'est effectivement bon...

Et c'est là que le problème se pose pour Greenpeace parce qu'apparemment, certains supporters de l'ONG ne sont pas d'accord avec le fait qu'un membre de Greenpeace mange de la baleine et dise que c'est bon. Greenpeace précise que Yuki et Ivan sont indépendants de l'ONG. Ben oui, mais "Whale-Love Wagon" est quand-même orchestré par eux non ?
Toujours est-il que sur le blog de "Whale-Love Wagon", Ivan a précisé qu'il n'aimait pas la viande de baleine. Pourtant il a dit qu'il avait trouvé ça bon aux deux dames, non ? C'était sans doute par politesse, alors...

De toute manière, la conclusion d'Ivan et Yuki devant les tombes dédiées aux baleines que les gens du kujiragumi de Katsuyama ont érigées autrefois, c'est que "la viande de baleine est consommée par des personnes âgées nostalgiques". Comme quoi on continue notre ballade dans les généralisations. Mais attendez, le quatrième épisode vaut le coup d'œil aussi.

Cette quatrième partie de "Whale-Love Wagon" emmène Ivan Rigual et Yuki Koinuma dans le port de Ônishi (ville d'Imabari, département d'Ehime). Là, des habitants ont sauvé un baleineau qui s'était échoué sur la plage trois ans auparavant. Un pêcheur ayant pris part au sauvetage explique donc à nos deux touristes comment ils s'y sont pris pour retourner l'animal à la mer. Et là, on a le droit à une question super-pertinente d'Ivan : "Lorsque vous avez découvert la baleine sur la plage, personne n'a proposé de la manger ?". Le pêcheur a répondu que non.

Conclusion de Yuki et Ivan : les Japonais aussi aiment les baleines et ne pensent pas qu'à les manger. C'est vrai qu'on aurait pu croire que les Japonais étaient des balénivores psychopathes... Heureusement que Greenpeace est là pour nous dire la "vérité".

Ce qui est intéressant sur le site de "Whale-Love Wagon", c'est que les vidéos sont accompagnées de propagande greenpeacienne qui n'a généralement pas grand rapport avec le contenu de ces premières. Cette fois-ci, on nous explique que les stocks de viande de baleine continuent d'augmenter car il n'y aurait pas de demande pour ce produit au Japon. Ca, c'est la nouvelle croisade de Greenpeace. On veut nous faire croire que les Japonais ne veulent plus de la viande de baleine. Pourtant, si l'on en croit les analyses de David @ Tokyo, la consommation de viande de baleine a augmenté d'environ 40% entre décembre 2005 et décembre 2006.

Alors que l'arrivage de viande de baleine est passé de 5832 tonnes en 2005 à 8950 tonnes en 2006 du fait de l'augmentation du quota de chasse en Antarctique (400 +/-10 rorquals de Minke jusqu'en 2005 contre 850 +/-10% rorquals de Minke et 10 rorquals communs à partir de 2006), la quantité de viande stockée à la fin décembre 2006 (3904 tonnes) n'a augmenté que de 393 tonnes par rapport au même mois de l'année précédente (3511 tonnes). Autrement dit, la quantité de viande sortant du stock est passée de 5955 tonnes en 2005 à 8558 tonnes en 2006. Cela signifie que la consommation a augmenté en réponse à l'offre, contrairement à ce que Greenpeace veut nous faire croire.

Mise à jour (17 février 2007) :
L'Affaire "Greenpeace mange de la baleine" continue de faire des vagues au sein des protecteurs des cétacés. Cette fois-ci, Sea Shepherd critique sévèrement Greenpeace après que les deux protagonistes de "Whale-Love Wagon" aient dégusté de la viande de baleine, consiférant que ces derniers "ont trahi les baleines". Rappelons que Paul Watson, fondateur et président de Sea Shepherd, est l'un des co-fondateur de Greenpeace. Il a quitté cette ONG du fait de désaccords quant aux stratégies de Greenpeace qu'il trouvait trop pacifistes.
Emiliano Ezcurra, un activiste de Greenpeace responsable de cette nouvelle campagne, aurait déclaré que Greenpeace "n'avait pas de problème avec la culture japonaise et le fait de manger de la baleine" et précisé que l'ONG ne s'opposait pas à la chasse côtière, mais à celle en Antarctique. Les Norvégiens et les Islandais qui ne chassent les baleines que près de leurs côtes seront rassurés de savoir cela.
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